La notion de réhabilitation sociale est de plus en plus présente dans nos pratiques.
Mais que veut dire ce mot, qui s'avère être utilisé de bien des façons?
Il convient de bien différencier si nous parlons
- d'un contexte de soins, comme le sont les centres ou plateformes de réhabilitation psycho-sociales
- d'un courant émergent de plus en plus dans la vision globale du soin, courant qui s'appuie sur les besoins des patients, leur empowerment et leur rétablissement possible
- d'un temps particulier du soin qui correspondrait au temps de la réadaptation dans la société
La réhabilitation psycho-sociale n'est pas à confondre avec l'ergothérapie!!!
Il est à noter que les ergothérapeutes qui travaillent en réhabilitation psycho-sociale, qu'il s'agisse d'un contexte (en termes de lieu de pratique) ou d'un courant de soin utilisé par l'équipe pluri-disciplinaire, ont parfois bien du mal à s'y retrouver, en termes de distinction de rôles et de spécificité-métier.
Ainsi dans le groupe rencontres du groupe Gresm, des ergothérapeutes partagent souvent leur désaroi en ces termes: "j'ai l'impression que tout le monde fait de l'ergothérapie, au sens d'intention de rendre les gens autonomes dans leur vie quotidienne."Les outils et protocoles sont en effet partagés, et quelle est donc la différence entre un.e ergothérapeute et un.e infirmer.ère qui font le même DU de remédiation cognitive?
En tant qu'ergothérapeutes, il nous est possible, tout simplement, de proposer nos propres outils et l'équilibre occupationnel qui soutient une bonne santé physique et mentale, en est un. Proposer aux personnes de travailler sur leur équilibre occupationnel vient ancrer une spécificité, probablement encore plus que l'utilisation du fameux pouvoir d'agir qui se trouve à présent dans les bouches de nombreux thérapeutes...Ainsi, nous proposons à la personne d'aller vers son rétablissement, si c'est le nom qu'ELLE souhaite donner à son évolution, grâce aux activités/occupations, dans un équilibre subjectif qu'ELLE même pourra déterminer.
Des petites histoires de situations vécues en ergothérapie vous sont racontées, issues d'un groupe orienté réhabilitation psyco-sociale.
Principes de CNAAM
En 1988, Cnaam rédige les 13 grands principes de la réhabilitation psychosociale :
- L’utilisation maximum des capacités humaines
- Doter les personnes d’habiletés
- L’auto détermination
- La normalisation
- La réponse individualisée des besoins et des services
- L’engagement des intervenants avec le maintien du lien
- La déprofessionnalisation de la relation d’aide
- L'’intervention précoce
- La structuration de l’environnement immédiat
- La participation au changement d’environnement plus large
- Pas de limite à la participation
- La valeur du travail
- La priorité au social par rapport au médical.
Un contexte, un courant ou une orientation? Le courant de la réhabilitation psychosociale s’appuie sur «Le projet territorial de santé mentale a pour priorité l’organisation du parcours de santé et de vie de qualité et sans rupture, notamment pour les personnes souffrant de troubles psychiques graves et s’inscrivant dans la durée, en situation ou à risque de handicap psychique, en vue de leur rétablissement et de leur inclusion sociale. A ce titre, il prévoit […] les actions destinées à prévenir la survenue ou l’aggravation du handicap, par l’accès le plus précoce possible aux soins notamment de réhabilitation, et aux accompagnements sociaux et médico-sociaux. »(Décret n° 2017-1200 du 27 juillet 2017 relatif au projet territorial de santé mentale).
L’expression "réhabilitation psychosociale" renvoie à un ensemble de procédés qui vont permettre d'aider les personnes souffrant de troubles psychiques à se rétablir, c’est-à-dire à obtenir un niveau de vie et d’adaptation satisfaisant par rapport à leurs attentes. La philosophie qui sous tend cet ensemble de pratiques est que la personne est capable d'évoluer vers son projet de vie choisi. La notion de rétablissement est au c½ur de ce type de pratiques.
Cette orientation, qui se développe de plus en plus auprès des patients, est transversal et partagé par tous les thérapeutes. En tant qu'ergothérapeutes nous sommes très clairement en situation de pouvoir l'accompagner car l'un de nos c½urs de métier est l'autonomie et une meilleure qualité de vie dans tous les domaines de la vie quotidienne. Les notions de psycho-éducation (éducation autour des symptômes), de la remédiation cognitive, de la métacognition et le courant des TCC sont également souvent intégrés dans ce contexte de soins.
Cette orientation, peut aussi s'inscrire lors du temps de la réadaptation, lors des sorties d'hospitalisation, dans les lieux de soins extra-hospitalier, dans des centres spécialisés en réhabilitation. Cette orientation tient compte des besoins de la personne mais aussi de la nécessité de rendre la société plus inclusive. Mais elle tend à s'inscrire aussi dès le début d'une hospitalisation, comme un horizon à atteindre mais qu'il convient de ne pas tenter de mettre en oeuvre trop vite et trop tôt.
Dans la définition de l'HAS qui parle des : "personnes souffrant de troubles psychiques graves et s’inscrivant dans la durée, en situation ou à risque de handicap psychique" nous voyons que les patients le plus souvent concernés sont les patients psychotiques et schizophrènes, les personnes ayant tendance à "s’enraciner" à l’hôpital, les personnes âgées, les patients souffrant d'incurie, les patients ayant perdu leur autonomie dans leur vie quotidienne, de façon chronique. Toutefois cette orientation de réhabilitation psycho-sociale tend à se développer au delà des ces premières indications.
La réhabilitation psycho-sociale, est-elle un nouveau modèle conceptuel?
Le mouvement de la réhabilitation psycho-sociale peut-il s’inscrire comme un nouveau modèle conceptuel ? Un modèle qui serait susceptible de remplacer ou d’englober le modèle, plus ancien, de la psychothérapie, mouvement qui a été si fécond pour aider les anciens asiles d’aliénés, à devenir des lieux plus humains, plus ouverts et où une pensée peut exister ? Ce sont les textes de deux psychiatres qui vont nous aider à réfléchir cette question.
Le Dr Matthieu Duprez, dans son article sur « Réhabilitation psycho-sociale et psychothérapie institutionnelle », évoque les points distincts et les zones de rapprochement entre ces deux pratiques.
L’un des points communs est centré sur la nécessité de soins dans la cité : « Il est intéressant de remarquer que, malgré des approches sensiblement différentes, la réhabilitation psychosociale et la psychothérapie institutionnelle se rejoignent sur un même point central de leurs pratiques : le fait que les personnes souffrant de pathologie mentale doivent être soignées dans la cité et non en des lieux ségrégatifs et désocialisants. »
Dans le domaine de la psychothérapie institutionnelle c’est le psychiatre F.Tosquelles qui proposera une métaphore, celle des deux jambes sur lesquelles repose cette pratique, c’est-à-dire « la double dimension subjective et sociale de cette approche des maladies mentales et des soins aux personnes souffrant de pathologies psychiatriques au long cours». Cette double dimension s’inscrit à la fois dans une aliénation sociale et une aliénation mentale."
Selon le Dr Duprez, l’aliénation sociale est bien décrite par des auteurs tels que Marx, Hengel ou encore Sartre, tandis que l’aliénation mentale est soutenue par l’½uvre de Freud et de ses successeurs qui « offre la possibilité d’une lecture dynamique des phénomènes transférentiels dont l’institution soignante se trouve être le théâtre ». Nous pouvons remarquer, dans son article, que la notion de singularité et de subjectivité de la personne est clairement issue de la psychothérapie, tandis que du côté de la réhabilitation, nous sommes plutôt dans des notions de normalisation, d'adaptation sociale et de droits de la personne.
« Là, où la psychothérapie institutionnelle avance la question de la subjectivité et de la liberté de l’homme au sein des sociétés modernes, la réhabilitation pose celles de l’individualité, des droits et des libertés de la personne ».
Dans le domaine de la réhabilitation psycho-sociale, le Dr Legay, lors d’une communication aux 5èmes rencontres deRéh@b’, semblait proposer un certain rapprochement entre ces deux pratiques, et il soulignait que la réhabilitation psycho-sociale « comporte également deux volets (l’un qui s’adresse à la personne et l’autre à la société dans son ensemble) ».
Dans le manifeste de réhabilitation , nous trouvons cette définition de la réhabilitation psycho-sociale: « c’est donc, conjointement, un ensemble d’actions de soins à l’intention de la personne souffrant de troubles psychiques, et un ensemble d’actions en direction de la société afin qu’elle soit plus porteuse, et plus apte à l’accueillir. » Ces notions rejoignent largement les préoccupations des ergothérapeutes, concernant la personne et son ancrage dans son environnement personnel et social.
Le manifeste de réhabilitation souligne la nécessaire complémentarité de ces deux mouvements en thérapie psychique et nous offre une belle conclusion, autour de la notion de désir : « L’une des difficultés, et non la moindre, consiste à développer l’offre de telles techniques sans pour autant que cette offre vienne remplacer, en termes de moyens comme de culture soignante, l’offre également nécessaire de prise en charge psychothérapique. Cette offre est indispensable en cela qu’il restera toujours à effectuer une appréhension, une remise en perspective diachronique de la subjectivité, de la dynamique psychique, puisqu’aussi bien il n’y a pas de réhabilitation sans mobilisation désirante »
Il reste aux ergothérapeutes à savoir dans lequel de ces courants complémentaires ils auront à travailler, en fonction de lieux de soin, des demandes, des intentions thérapeutiques institutionnelles, des temps de parcours des bénéficiaires, et surtout en fonction des patients, de leurs besoins et de leurs demandes de soins.
La question de la normalisation, l'un des 13 principes de CNAAM
Le succès de la réhabilitation psycho-sociale dans le domaine de la santé mentale, pour tous les thérapeutes, peut s’entendre aussi comme « l’expression au sein du monde psychiatrique de ce que A. Ehrenberg a qualifié de « norme d’autonomie ».
Ainsi le Dr Duprez souligne qu’il semble important pour cette nouvelle pratique, de « s’armer d’autres références que celles des droits de personnes ». Il suggère qu’il faudrait au mouvement de réhabilitation psycho-sociale une réflexion en profondeur sur la question normative. En effet, ce succès nécessite aussi, une réflexion sur la question du pouvoir, sur la façon dont il est réparti, sur la manière dont il s’organise. La notion d’empowerment est en effet issue d’une prise en main de leur projet de vie par des personnes et il ne s’agit pas de leur « prescrire » cette attitude ou de s'emparer des concepts issus de ces mouvements de patients.
La notion de l'empowerment. Cette notion se situe dans le champ du politique, mettant en avant la notion de capacité d'agir d'un individu ou d'un groupe. La première utilisation du terme empowerment semble être issue des États-Unis, au début du XXe siècle. Il est utilisé par les femmes luttant pour la reconnaissance de leurs droits. Puis cette notion va se déployer dans de nombreux autres champs (mouvements pour les droits civiques, politique de lutte contre la pauvreté, management des équipes...). Il s'agit d'aider les personnes à s'orienter vers une démarche participative et collective, préparant peut-être la voie d'une démocratie participative.
Nous pouvons constater que le domaine du soin n'échappe pas aux évolutions sociétales. Idéalement, il faudrait donc aider les patients à co-construire un savoir et pas que les thérapeutes transmettent un savoir. (voir ici un article)
Concepts
La réhabilitation psycho-sociale s'appuie principalement sur les théories faisant le lien entre vulnérabilité et stress. La notion du processus de rétablissement (voir les 5 piliers du rétablissement) font également partie des concepts de référence.
Nous retrouvons, le plus fréquemment, une sorte de logique thérapeutique, qui va proposer trois grands niveaux d'intervention, avec différents types d'outils: - La psycho-éducation pour les patients et les familles, centrée sur l'acquisition d'un savoir sur les symptômes (livrets éducatifs, vidéos, partage d'expériences, jeu, programmes) pour soutenir leurs capacités à y faire face. L'idée est de co-partager le savoir, pour créer une alliance thérapeutique. Il reste à ne pas oublier la stigmatisation de certaines pathologies, comme la schizophrénie, voire l'auto-stigmatisation.
- La remédiation cognitive pour agir sur les impacts des troubles cognitifs (exercices cognitifs, consignes entre chaque séance, travail individuel ou de cognition sociale, outils ludiques ou informatiques)
- Le transfert des acquis de ces démarches, par un accompagnement plus tourné vers la dimension fonctionnelle dans la vie quotidienne, pour aller vers une intégration sociale et professionnelle (en milieu de plus en plus écologique, de façon individuelle ou groupale).
(voir article de CAIRN sur la différence entre ces deux mouvements ou visions du soin que sont la psychothérapie institutionnelle et la réhabilitation psycho-sociale)
Un petit avis personnel: Dans ce domaine de la ré-habilitation, nous allons pouvoir accompagner le patient dans sa démarche vers une plus grande autonomie personnelle et vers une insertion dans son environnement personnel, familial, professionnel, social. L'ergothérapie peut s'inscrire dans ce champ de pratique. Dans le domaine de la psychiatrie, il serait intéressant peut-être de rester centré sur la notion d'autonomie psychique, et pas uniquement fonctionnelle, qui souligne la nécessité d'aider la personne à s'aider elle-même. Cette notion d'autonomie psychique fait écho au fameux pouvoir d'agir et à l'empowerment.
Actuellement, dans un souci de rapidité et d'efficacité, des thérapies plus pragmatiques, plus orientées vers des actions conduisant à des solutions, fleurissent un peu partout. Elles nous viennent souvent, des Etats-unis, et se montrent soucieuses d'un soin rapide, (en grande partie en raison de leur système de soin particulier basé sur des assurances) et qui nous amène la notion de client au lieu de patient. Cette dernière notion est sans doute l'une des plus intéressante, permettant de considérer la personne non plus comme patient, passif et objet de soin. Le mot de client peut toutefois induire une notion commerciale qui peut déranger.
Les notions d'alliance, de patient expert, de patients-ressources et surtout celle de pairs aidants (patients ayant été formés dans un DU et qui sont embauchés dans les équipes de soins) sont des mots ayant un sens moins "commercial" et qui ouvrent des voies prometteuses, issues à la fois de ce désir des patients de "prendre les rênes en main" et aussi d'une nouvelle position des thérapeutes, plus collaborative et participative, incluant les usagers dans une démarche de coopération et d'alliance, comme par exemple, dans le contexte de l'ETP.
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